L’Europe a choisi de ne pas devenir le marché mondial pour les produits et services innovants, préférant devenir le terrain de jeu ultime des restrictions bureaucratiques.
Récemment, le commissaire européen au Marché intérieur s’est rendu à San Francisco avec une importante délégation de bureaucrates. Sa mission : s’attaquer de front aux grandes entreprises technologiques américaines.
Le rôle important de Thierry Breton – ancien PDG de France Télécom et d’Atos, entre autres, mais aussi ex-ministre de l’Economie sous Jacques Chirac – au sein de l’organe exécutif de l’UE consiste à superviser le commerce dans le système du marché unique européen, qui compte près de 500 millions de consommateurs et de citoyens. Ce rôle lui confère un pouvoir considérable. Quel autre homme politique européen pourrait organiser des réunions avec Elon Musk, Mark Zuckerberg et Sam Altman en une seule journée ?
Bien que le mandat de M. Breton soit assez vaste – il couvre tous les domaines, du haut débit aux plateformes en ligne, en passant par le changement climatique –, son objectif à San Francisco était de rencontrer des géants de la technologie et des PDG américains afin de les préparer à l’application imminente de la loi sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), une loi européenne globale destinée à créer un « espace numérique plus sûr » pour les Européens. Cette loi entrera en vigueur à la fin de ce mois d’août et imposera des dizaines de nouvelles obligations aux sociétés de l’Internet qui souhaitent servir des utilisateurs dans l’Union européenne.
Cette législation sur les services numériques pourrait être décrite comme le modèle réglementaire européen pour les grandes entreprises technologiques et l’Internet. Le seul problème est qu’une infime partie des entreprises visées par la loi sur les services numériques pour des restrictions ou des réglementations sont basées dans l’UE. Sur les 17 entreprises désignées comme « très grandes plateformes en ligne » par la loi – ce qui signifie qu’elles seront soumises à la réglementation et aux règles les plus contraignantes – une seule est basée en Europe : Il s’agit de Zalando, un commerce de mode en ligne.
La responsabilité des autres
Les autres viennent principalement… vous l’avez deviné… des Etats-Unis. Il s’agit d’entreprises telles que Meta, Twitter, Google, Snapchat et Amazon, mais aussi d’entreprises chinoises telles que TikTok et Alibaba.
Le DSA met en œuvre une série de restrictions et de règles étendues qui vont bien au-delà de toute réglementation américaine sur ces groupes : des limites sévères sur la publicité ciblée, une modération plus diligente des contenus pour supprimer ce que l’UE considère comme des contenus « illégaux », des protocoles pour éliminer la « désinformation », et bien d’autres choses encore.
Si l’on considère à quel point les grandes entreprises numériques ont été contraintes de censurer les utilisateurs pour apaiser les régulateurs aux Etats-Unis, la situation ne fera qu’empirer à l’étranger. Si les principaux objectifs du DSA sont bien intentionnés – préserver la vie privée des consommateurs et protéger les mineurs – la manière dont ces dispositions sont appliquées ou interprétées devrait préoccuper tous ceux d’entre nous qui croient en un web ouvert.
Tout d’abord, la désinformation et les contenus illégaux sont soumis à la responsabilité des plateformes.
Aux Etats-Unis, la section 230 du Communications Act de 1934 exempte les plateformes de toute responsabilité à l’égard des messages publiés par les utilisateurs. En Europe, toutes les grandes plateformes en ligne seront obligées de contrôler instantanément leurs utilisateurs ou de s’exposer à des sanctions sévères, tout en étant confrontées à des questions impossibles à résoudre. Les plateformes décideront-elles de ce qu’est la désinformation ou les gouvernements fourniront-ils des exemples ? Que se passera-t-il si un gouvernement se trompe, comme dans les premiers jours du Covid ? Ou s’il a des intentions plus malveillantes, comme dans les sociétés de surveillance non libres ?
« Réglementer d’abord, innover ensuite »
En l’absence d’une protection de la liberté d’expression comparable au premier amendement américain sur le continent européen, nous savons que les demandes de censure des fonctionnaires européens engloutiront bientôt des budgets entiers d’entreprises technologiques pour s’y conformer, de l’argent qui serait autrement utilisé pour apporter de la valeur aux utilisateurs. Cela en vaudra-t-il la peine ? La nouvelle plateforme de médias sociaux de Meta, Threads, n’a pas été lancée en Europe, très probablement parce que l’entreprise n’a pas la certitude qu’elle ne sera pas frappée par une réglementation stricte qu’elle n’est pas en mesure d’appliquer.
Nous savons que chaque plateforme a la capacité de modérer ou de censurer comme elle l’entend, mais cela se fait généralement par le biais de politiques et de codes internes que les utilisateurs acceptent volontairement, et non en réaction à un policier qui tient la matraque réglementaire. Plutôt que de se concentrer sur la restriction et la limitation des entreprises technologiques américaines, les Européens devraient faire tout leur possible pour changer leurs propres règles afin de favoriser l’innovation que la Silicon Valley a été en mesure de fournir pendant des décennies.
L’état d’esprit promulgué par Bruxelles est « réglementer d’abord, innover ensuite », dans l’espoir que le talent et les idées naîtront d’un environnement stable et réglementé. Si tel était le cas, nous aurions des dizaines de licornes technologiques européennes se disputant la domination mondiale. Au lieu de cela, il n’y en a pratiquement aucune. Ou bien elles ont été rachetées par une entreprise américaine.
L’Europe a choisi de ne pas devenir le marché test mondial pour les produits et services innovants, préférant devenir le terrain de jeu ultime des restrictions bureaucratiques et juridiques. Alors que certains politiciens et régulateurs américains peuvent regarder la situation d’un œil satisfait, il est clair que les consommateurs et les créateurs sont laissés pour compte sur le Vieux Continent, et que les utilisateurs américains seront bientôt dans le collimateur.
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