Refuser le carburant ne nous donnera pas de l'air pur.

À partir du 18 décembre, un automobiliste de Delhi pourra s'arrêter comme d'habitude à une station-service et se voir refuser l'essence sans crier gare : ni discussion, ni explication, ni avertissement. Une caméra scannera le véhicule, détectera l'absence de certificat de contrôle technique (PUC) et le pistolet restera muet. En pleine crise de pollution, Delhi a privilégié l'automatisation au discernement, la restriction à la réforme. L'intention est compréhensible.

L'air de Delhi est dangereux, et les émissions des véhicules contribuent au problème. Cependant, des politiques qui paraissent efficaces sur le papier peuvent échouer dans la pratique, surtout lorsqu'elles ignorent comment les habitants d'une ville de plus de 30 millions d'habitants se déplacent, travaillent et vivent. Le refus de vente de carburant sur la base des contrôles de la PUC repose sur trois hypothèses : que ces certificats reflètent fidèlement les émissions réelles, que la conformité est simple et accessible, et que les personnes privées de carburant disposent d'alternatives viables. Aucune de ces hypothèses n'est vérifiée. Les contrôles de la PUC en Inde sont largement reconnus comme étant incohérents.

Les certificats sont délivrés sur la base de tests brefs et statiques qui ne permettent pas de mesurer les émissions dues aux embouteillages, au ralenti, à une mauvaise qualité du carburant ou aux contraintes du moteur en conditions de conduite réelles. Une voiture peut réussir le contrôle technique et pourtant polluer fortement dans les embouteillages. Utiliser un critère aussi imprécis pour déterminer l'accès au carburant risque de pénaliser la formalité plutôt que la pollution. Se pose ensuite la question de l'échelle.

Plus de huit cent mille propriétaires de véhicules à Delhi seraient dépourvus de certificat de contrôle technique valide. Leur accorder un jour pour se mettre en conformité n'est pas une mesure d'urgence environnementale, mais une simple formalité administrative. Pour les travailleurs indépendants, les livreurs, les artisans et les petits commerçants, un véhicule n'est pas un choix de vie, mais un moyen de subsistance. Interdire l'accès au carburant n'améliore pas la qualité de l'air si cela ne fait que plonger l'activité économique dans le chaos ou l'informalité. Cette approche confond également application de la loi et résultats. Si l'interdiction du carburant suffisait, la qualité de l'air à Delhi se serait améliorée depuis longtemps. La ville est déjà soumise chaque hiver à des restrictions liées au programme GRAP (Global Air Protection Act), à des interdictions de construction, à l'obligation du télétravail et à des limitations de circulation. Pourtant, la crise persiste, car le système sous-jacent reste inchangé. Une comparaison pertinente peut être faite avec les villes qui ont réduit leurs émissions liées au trafic non pas par des mesures drastiques, mais par la mise en œuvre de réformes progressives.

Tokyo a réduit les émissions de véhicules non pas par des interdictions générales, mais en diminuant la dépendance aux véhicules personnels. Un réseau de transports publics étendu et efficace, des normes d'inspection strictes et une planification à long terme ont permis de réduire le trafic de manière organique. Les restrictions étaient intégrées à un système qui fonctionnait déjà pour les consommateurs. L'amélioration de la qualité de l'air n'est pas le fruit de mesures brutales, mais d'investissements soutenus dans des alternatives. Delhi, en revanche, est encore à la traîne. L'offre de bus reste insuffisante. La desserte du dernier kilomètre est aléatoire. L'adoption des véhicules électriques est encouragée par les discours, mais freinée par le manque de bornes de recharge et l'incertitude politique. Au lieu de faciliter les choix plus propres, les politiques publiques ne font que restreindre les options. Il existe également un risque que les décideurs politiques sous-estiment : le déplacement des populations.

Lorsque le respect des réglementations devient imprévisible, les comportements ne disparaissent pas ; ils s’adaptent. Les véhicules font le plein hors des limites de la ville. Les certificats de conformité se transforment en une simple formalité administrative. La pollution se déplace au lieu de diminuer. On ne peut pas imposer la qualité de l’air comme on applique un péage. Rien de tout cela ne plaide pour l’indulgence envers les pollueurs. Cela plaide pour une conception plus intelligente. Si l’objectif est de réduire le nombre de véhicules polluants, il faut investir en priorité dans les alternatives de mobilité, moderniser les tests pour qu’ils reflètent les émissions réelles et utiliser une tarification et des incitations qui encouragent les comportements plus propres. La répression doit renforcer la réforme, et non la remplacer. L’automatisation peut limiter l’approvisionnement en carburant. Seules les politiques publiques peuvent garantir un air pur. Delhi a besoin de moins de pilotage automatique et de mieux prendre en compte la façon dont les usagers se déplacent réellement en ville. Si Delhi souhaite un air plus pur, elle devrait commencer par augmenter la fréquence des bus et du métro, rendre les contrôles techniques crédibles et les véhicules électriques plus abordables, et non transformer les stations-service en points de contrôle.

Publié à l'origine ici

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