Le commerce n'est pas un jeu à somme nulle.
Lors de son discours aux Français le 14 juin, le président Emmanuel Macron a esquissé un plan de relance fondé, en partie, sur la souveraineté économique à l'échelle nationale : « Nous devons créer de nouveaux emplois en investissant dans notre indépendance technologique, numérique, industrielle et agricole » déclaré.
Le virage protectionniste du président français est surprenant. Opposé à Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron s'est présenté comme le candidat de la société ouverte. Le voilà désormais à la défense du protectionnisme ! Il s'est moqué du populisme trompette, et maintenant il promet de ramener des emplois à la maison ! Mais le plus surprenant est qu'il ne se limite pas à prôner la souveraineté européenne – comme il l'a déjà fait à plusieurs reprises – mais la souveraineté nationale, au mépris des principes régissant le marché unique.
Cette « réinvention » n'est malheureusement pas une innovation. Au contraire, Emmanuel Macron ressuscite le vieux sophisme d'Ancien Régime selon lequel la richesse d'une nation ne se mesure pas au nombre de biens et services réels dont elle dispose mais à la quantité d'or dans ses caisses. Une idéologie défendue par Jean-Baptiste Colbert, ministre sous Louis XIV. « Ce pays ne s'épanouit pas seulement par lui-même, mais aussi par le châtiment qu'il sait infliger aux nations voisines », telle était sa philosophie. Mais si Colbert est dans les mémoires comme le ministre qui fut à l'origine de la « grandeur de la France », c'est parce que l'histoire s'intéresse plus aux riches et aux puissants qu'au petit peuple. En apparence, la France brillait peut-être en Europe, mais en réalité la France n'était « qu'un grand hôpital désolé », comme en témoigne Fénelon dans une lettre au roi Louis XIV en 1694.
Derrière l'idéologie mercantiliste, comme celle dont Emmanuel Macron s'est inspiré lorsqu'il a parlé d'un renouveau fondé sur le souverainisme, se cache une idée fausse : le commerce est un jeu à somme nulle. Mais comme les auteurs classiques l'ont montré par la suite, le commerce, par définition, est un jeu à somme positive. Forcer les consommateurs à acheter des biens nationaux plutôt que les biens importés qu'ils désirent n'est pas dans leur intérêt et, par extension, pas dans l'intérêt de la nation. Comme le souligne Paul Krugman dans un article de 1993, « Ce qu'un pays tire du commerce, c'est la capacité d'importer ce qu'il veut. La France va donc investir massivement dans certaines technologies pour « gagner sa souveraineté » alors qu'elle pourrait bénéficier de l'expérience et de la compétence de ses voisins. Un excellent moyen de gaspiller de précieuses ressources.
Emmanuel Macron a aussi dit que l'avantage des délocalisations était la création de « nouveaux emplois », mais à quel prix ? Les exemples de la guerre économique entre la Chine et les États-Unis montrent les lacunes d'une telle politique. Une étude de l'American Enterprise Institute (AEI) a par exemple montré que le coût de la taxe chinoise sur les pneus fixée par l'administration Obama était de $900 000 par emploi. De plus, comme ces 900 000 $ auraient pu être dépensés ailleurs, l'augmentation du prix des pneumatiques a entraîné une baisse de la demande d'autres biens. Ainsi, l'AEI estime que la préservation d'un seul emploi dans l'industrie du pneumatique aurait en réalité coûté 3 700 emplois dans les autres secteurs. Ce phénomène n'est pas exceptionnel, les exemples ne manquent pas. Autre exemple, les tarifs sur l'acier imposés par l'administration Bush : alors qu'ils ont sauvé 3 500 emplois sidérurgiques, les économistes estiment que ces tarifs ont entraîné la perte de 12 000 à 43 000 emplois dans les industries sidérurgiques ! La leçon de Krugman est toujours valable aujourd'hui : « Le soutien du gouvernement à une industrie peut aider cette industrie à concurrencer la concurrence étrangère, mais il détourne également des ressources d'autres industries nationales.
Ces exemples montrent bien que l'économie est trop compliquée pour un Président de la République, pour espérer la gérer. L'idée qu'une politique de relance acceptable réduirait le chômage est une chimère : ce sont les entrepreneurs qui créent les emplois, pas les bureaucrates. Hors crise, environ 10 000 emplois sont créés chaque jour dans une économie française qui emploie au total environ vingt-cinq millions de salariés. Qui peut prétendre être la source directe de tant d'emplois ? Au mieux, Emmanuel Macron parviendra peut-être à créer quelques milliers d'emplois dans la poignée de secteurs qu'il a arbitrairement désignés. Mais ce sera au détriment de dizaines de milliers d'emplois qui disparaîtront de ce fait.
Bien sûr, ce qui vaut pour la France vaut aussi pour l'Europe : la souveraineté n'est légitime que lorsqu'elle s'applique à une seule échelle, celle du consommateur.
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