Tous les deux ou trois ans, l'Inde prend conscience de la fragilité de son écosystème aérien. Cette fois-ci, il a fallu une panne générale d'une semaine chez IndiGo, une compagnie aérienne majeure, des centaines d'annulations, des aéroports transformés en zones d'attente pour les bagages et des passagers bloqués à travers le pays, pour révéler une vérité que les décideurs politiques préfèrent ignorer : lorsqu'une part importante du marché est contrôlée par seulement deux compagnies aériennes, la crise interne de l'une d'entre elles devient une urgence nationale. La pénurie de pilotes chez IndiGo, provoquée par la mise en œuvre tardive de règles de gestion de la fatigue, aurait dû perturber une seule compagnie. Au lieu de cela, elle a paralysé tout le réseau aérien indien. .
Les tarifs ont grimpé jusqu'à 40 000 à 80 000 roupies, les remboursements ont tardé à arriver et les compagnies alternatives n'ont tout simplement pas pu absorber le choc. Sur un marché concurrentiel, les passagers auraient eu le choix. En Inde, pays duopolistique, ils n'en avaient aucun. Les règles relatives à la fatigue n'étaient pas en soi le problème. L'épuisement des pilotes est une menace bien documentée pour la sécurité aérienne à l'échelle mondiale, et l'harmonisation des limitations de temps de service de vol (FDTL) en Inde avec les normes internationales est plus que nécessaire. Mais la transition a été mal gérée de tous côtés. Les autorités de régulation ont annoncé ces règles il y a près de deux ans, puis ont reporté à plusieurs reprises leur application, pour finalement les mettre en œuvre brutalement, laissant les compagnies aériennes dans le désarroi. IndiGo, réputée pour ses rotations rapides et son modèle économique allégé, a sous-estimé le nombre de pilotes supplémentaires dont elle avait besoin. L'autorité de régulation a sous-estimé la rapidité avec laquelle un système aussi fragile peut s'effondrer.
Cette combinaison d'une mauvaise planification et d'un marché quasiment sans marge de manœuvre explique pourquoi les passagers en ont fait les frais. Ce qui manque au débat, c'est la cause structurelle : le secteur aérien indien manque de diversification. Lorsque deux compagnies seulement, IndiGo et Air India, détiennent plus de 90 % des parts de marché, tout le système repose sur leur capacité à fonctionner sans faille. Aucune industrie moderne ne devrait fonctionner sur un tel fil du rasoir. Le secteur aérien allemand ne s'est pas effondré lorsque Lufthansa a subi une panne informatique. Les États-Unis ne sont pas paralysés lorsque Delta fait face à une pénurie de personnel. Sur ces marchés, la présence de plusieurs acteurs assure la résilience. En Inde, les passagers sont confrontés à un système où “ lorsqu'une compagnie aérienne flanche, tout le monde en pâtit ”. Et les consommateurs ont énormément souffert.
Des personnes ont manqué des entretiens d'embauche, des rendez-vous médicaux et des mariages. Certaines sont arrivées à l'aéroport à l'aube pour découvrir que leurs vols étaient annulés, sans aucune notification par SMS. Les remboursements n'ont été versés qu'après des directives gouvernementales. Un pays qui ambitionne de devenir le troisième marché mondial de l'aviation ne peut se permettre de fonctionner avec des normes de protection des passagers obsolètes. L'Inde a besoin d'une Charte des droits des passagers aériens claire et applicable, garantissant le versement automatique des fonds, des alertes en temps opportun et une juste indemnisation en cas d'annulation de dernière minute, sans imposer aux compagnies aériennes des réglementations hâtives. Mais les droits des consommateurs à eux seuls ne suffiront pas à redresser un marché où la concurrence est insuffisante. Pour une véritable résilience, l'Inde doit lever les obstacles qui freinent le développement des nouvelles compagnies aériennes : des taxes élevées sur le kérosène qui érodent les marges, des politiques d'attribution des créneaux horaires qui avantagent les compagnies déjà établies et une imprévisibilité réglementaire qui décourage les investissements. Le gouvernement affirme que l'Inde peut accueillir cinq grandes compagnies aériennes.
Cela ne se produira pas sans réformes politiques facilitant l'accès au marché et garantissant une concurrence équitable. La crise d'IndiGo ne se résumait pas à des règles de gestion de la fatigue ou à des erreurs de planification des horaires. Elle a mis à rude épreuve l'ensemble du secteur, et le système a failli. L'avenir de l'aviation indienne repose sur l'adoption d'une leçon que tout marché concurrentiel et soucieux du consommateur finit par apprendre : le choix est synonyme de stabilité. Plus il y aura d'acteurs dans le ciel, moins les passagers se retrouveront bloqués à cause d'une erreur de calcul d'une compagnie aérienne. Si l'Inde souhaite un écosystème aérien résilient, elle doit cesser de gérer les crises et favoriser la concurrence. Le ciel a besoin de plus de transporteurs, de plus de capacité et d'un plus grand choix pour les consommateurs. Sinon, ce ne sera pas la dernière fois que les passagers paieront pour une crise qu'ils n'ont pas provoquée.
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